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P comme polenta

S’il y a une lettre pour laquelle je n’ai pas eu de mal à trouver un sujet en lien avec le thème que j’ai choisi cette année, c’est bien le P, tant la polenta est indissociable des traditions culinaires et de l’histoire de la Vénétie. Le sujet s’est donc imposé à moi, comme une évidence.

La polenta (Pietro Longhi)

L’arrivée de la polenta en Vénétie, à compter du XVIe siècle et suite à la conquête de l’Amérique, a constitué une véritable révolution alimentaire.

Mais le terme est bien antérieur et d’étymologie latine, dérivant de pollen (farine) et puls (mélange, bouillie). Il désignait une bouillie de céréales, blé, orge, épeautre…, cuites à l’eau et consommée par les antiques civilisations du pourtour méditerranéen, dont les Romains, chez lesquels elle accompagnait les légumes ou viandes cuites au beurre.
Le maïs arriva dans les cuisines d’Europe à partir du milieu du XVIe siècle, et il devint un aliment de base dans toute l’Italie du Nord, en particulier en Vénétie. L’Officio delle Biave, entité administrative de la Sérénissime République de Venise, encouragea sa culture pour lutter contre plusieurs années de mauvaises récoltes. Dans les champs, il pris ainsi parfois le pas sur le blé ou le riz en plaine, sur l’orge ou l’épeautre dans les zones de montagne.

Dans ces dernières, où la pauvreté alimentaire était plus marquée, on cultivait et consommait du maïs produisant une polenta jaune grossièrement moulue. Vers la plaine et aux alentours des villes, on lui préférait la polenta issue de maïs aux grains blancs, plus fine et au goût plus délicat. Dans la patrie de la variété de mais marano, dans les provinces de Treviso, Venezia et Padova, le terme polenta désignait voilà encore quelques décennies uniquement celle réalisée avec de la farine de maïs blanche.

maïs blancoperla, qui sert aujourd’hui à produire la polenta blanche

Comme l’écrivait Lodovico Pastò, médecin vénitien du XVIIIe siècle, dans une ode à la polenta (parfois écrit poenta, tant le “l” est éludé dans la prononciation locale), cet aliment était un incontournable en Vénétie :

La me piase dura e tenara,
In farsora e su la grela,
In pastisso, in te la padela,
Coi sponsioli, coi fongheti,
Col porçel, coi oseleti,
Co le anguele, coi marsioni,
Coi so bravi scopetoni,
E po insoma in tuti i modi
La polenta la xe el me godi

(elle me plait dure et tendre, dans un poêle et sur le gril, en pâté, à la casserole, avec des sponsioli (je n’ai pas trouvé de quoi il s’agit), avec des champignons, avec du porc, avec des oiseaux, avec des anguilles, avec des gobies, avec les braves sardines, en somme la polenta elle me plait un peu de toutes les façons)

Aujourd’hui encore, la polenta accompagne quasiment tous les plats traditionnels de Vénétie, qu’ils soient composés de légumes, de viande ou de poisson : polenta e coniglio (lapin), polenta e bacalà, polenta e scopeton, polenta e fasoi,… On la consomme rarement comme une purée liquide. Le mode de préparation traditionnel consiste à la verser sur une planche pour la faire refroidir, puis à la découper en lanières qui sont ensuite abbrustolite (grillées) ou onte (frites). Chez ma grand-mère je mangeais ces lanières blanches, préalablement grillées sur le coin de la plaque de la cuisinière à bois, pour accompagner un morceau de fromage à la manière d’une tranche de pain.

Le revers de la médaille : la pellagre

Si la polenta a nourri des générations de paysans de Vénétie, elle a presque causé leur perte à la fin du XIXe siècle, lorsque leurs conditions de vie étaient devenues si rudes qu’elle était leur seul aliment. Une diète composée uniquement de farine de maïs cuite à l’eau était en effet responsable d’une carence en vitamine B3 (anciennement appelée vitamine PP, de « PP factor » ou « pellagra preventive factor ») et en tryptophane, un acide aminé essentiel précurseur de cette vitamine. Les personnes souffrant de cette carence développaient la pellagre, de l’italien pelle agra = peau aigre. Les symptômes commençaient en effet par une dermatite, puis suivaient des diarrhées et finalement une démence conduisant à la mort, parfois par suicide. Une simple supplémentation en vitamines, au travers d’une alimentation apportant qualité et variété, aurait suffit à combattre ce fléau, mais les plus pauvres ne pouvaient pas en bénéficier. A cette époque, la pellagre et le scorbut, autre pathologie liés à une carence alimentaire, ont fait des ravages en Vénétie. J’en ai trouvé de nombreuses traces en dépouillant les registres paroissiaux, y compris chez mes ancêtres.
Ainsi, d’une manière indirecte le maïs venu d’Amérique a été l’une des causes de l’exode massif  des habitants de la Vénétie vers le continent américain à la fin du XIXe siècle.

La recette

Outre toutes les utilisations de la polenta en accompagnement de plats salés, elle est également l’ingrédient principal d’un dessert très simple qui était souvent servi aux enfants, en particulier dans la province de Belluno : le patugoi.

Patugoi
Ingrédients
  • 80 g de farine de maïs de variété sponcio ou storo
  • 200 g de lait cru
  • eau
  • sel
Préparation Faire bouillir l’eau (en ajoutant 20% aux proportions donnée pour la polenta), la saler et verser la farine de maïs. Cuire en mélangeant régulièrement durant 40 à 45 minutes. La polenta reste assez liquide.

Lorsque la polenta est encore chaude, la servir en la mélangeant avec un peu de lait froid.

Dans les variantes modernes, on ajoute parfois un peu de sucre et des arômes : vanille, agrumes…

(source : http://www.cucinaconrob.it)

Patugoi
(http://www.cucinaconrob.it)

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