• Documents militaires : le parcours de mes grands-oncles

    Mon grand-père, Sebastiano Vedovotto, n’a pas fait son service militaire et n’a pas été appelé pour combattre en 1915 quand l’Italie est entrée en guerre. Il souffrait en effet d’un problème à une jambe qui lui a valu d’être réformé.

    Vedovotto Ferruccio Bonaventura
    Foglio matricolare de Ferruccio Bonaventura Vedovotto, frère de mon grand-père

    Son jeune frère Ferruccio Bonaventura, né en 1893, a par contre franchi toutes les étapes du processus et s’est vu attribuer le matricule 4310, comme l’atteste le foglio matricolare à son nom. Ce document ne donne pas d’indication sur son physique, car la zone n’a malheureusement pas été remplie. Il m’indique qu’en novembre 1913, Ferruccio a été déclaré soldat de deuxième catégorie (soldato di leva seconda categoria) et laissé en congé illimité, c’est à dire non appelé sous les drapeaux. Contrairement à la première catégorie, qui formait le corps des appelés, la seconde catégorie regroupait les jeunes gens jugés aptes physiquement mais qui n’étaient pas incorporés car le contingent était atteint. Il existait une troisième catégorie, pour les jeunes gens non réformés mais exemptés du service militaire pour des motifs familiaux.
    L’année suivante, en août 1914, Ferruccio a dû être tiré au sort puisqu’il a été appelé sous les drapeaux. Mais il immédiatement été dispensé de service militaire, au motif qu’il résidait à l’étranger et était parti avec un passeport régulier (traduction : il n’avait pas fui pour se soustraire à ses obligations militaires). Depuis 1908 en effet, Ferruccio vivait au Texas et travaillait comme mineur de charbon à Thurber (voir T comme Thurber).

    WW1Ferruccio
    Recensement de Ferruccio Vedovotto par les autorités des USA, enregistré à Thurber le 5 juin 1917. (WWI draft registration cards, Ancestry.com)

    Mais ces mesures de dispense n’étaient bien entendu valables qu’en temps de paix. Lorsque l’Italie est entrée en guerre contre l’Autriche-Hongrie en 1915, tous les hommes valides ont été appelés aux armes. Une convocation a donc été émise à l’intention de Ferruccio le 1er juin 1915 mais elle n’a pas pu lui être remise en main propre, puisqu’il n’était pas en Italie. La machine militaire s’est alors mise en branle, et son foglio matricolare nous apprend que Ferruccio a été déclaré déserteur le 31 août 1915 et que son dossier a été transmis au tribunal militaire de guerre de Portogruaro en décembre de la même année. Heureusement, il a bénéficié d’une amnistie le 27 mai 1926 et a été mis définitivement en congé de l’armée en mai 1927. Sans ces mesures, il n’aurait sans doute pas pu revenir en Italie sans risquer une arrestation par l’armée.
    Je ne connais pas le sentiment de Ferruccio vis-à-vis du conflit mondial et de l’implication de l’Italie, mais je sais qu’il ne se vivait pas caché aux USA car une fiche à son nom est enregistrée parmi les “World War I Draft Registration Cards”, établies en 1917 et 1918 par les autorités américaines pour recenser tous les jeunes hommes nés entre 1872 et 1900 et présents alors sur le sol des USA, quelle que soit leur nationalité. Peut-être Ferruccio pensait-il être plus utile aux alliés en continuant à extraire du charbon qu’en allant risquer sa vie sur le Carso ou l’altiplano d’Asiago.

    Romana Guadagnin ma grand-mère avait pour sa part quatre frères, tous jugés aptes à faire leur service militaire : Antonio né en 1896, Emanuele né en 1898, Giacomo né en 1900, et Virginio né en 1905. J’ai également obtenu leur foglio matricolare. Je ne vais pas lister tout ce que j’y ai appris mais en voici quelques éléments qui m’ont semblé emblématiques :
    • Les trois plus âgés ont combattu durant la première guerre mondiale. Seul Virginio y a échappé.
    • Antonio et Emanuele, membres des troupes actives au moment de la débâcle qui a suivi la défaite de Caporetto, ont tous deux été fait prisonniers par l’ennemi et sont restés emprisonnés jusqu’à l’armistice.
    • Le statut de prisonnier de ses deux frères n’a pas préservé Giacomo de la mobilisation.
    • Après l’armistice, et bien qu’ayant combattu activement, tous trois ont dû terminer leur période militaire. Giacomo a toutefois bénéficié d’un sursis d’incorporation, le temps que Emanuele soit démobilisé !
    • Trois des quatre frères ont fait partie des alpini, les emblématiques chasseurs alpins chers au cœur des Veneti (voir A comme Alpini)
    • Au moment de la réception de leur “feuille de congé illimité” certains de mes grands-oncles étaient domiciliés en France ou en Algérie, où ils étaient partis travailler temporairement.

    Ces fiches font également mention des promotions, des changements de corps d’armée, des indemnités versées aux soldats après la guerre et des demandes de décorations. Plutôt que de les transcrire, j’ai préféré en rassembler les principaux événements dans une frise chronologique, qui met en parallèle le vécu militaire de ces quatre frères et l’histoire de l’Italie. Pour naviguer d’un événement à un autre, utilisez les flèches droite ou gauche. (Frise réalisée avec l’outil Timeline JS)

    Fogli matricolari des quatre frères de ma grand-mère
    (cliquer sur les vignettes pour afficher les images en plein écran)
    Guadagnin Antonio Guadagnin Emanuele
    Guadagnin Giacomo Guadagnin Virginio

    Pour en savoir plus sur l’histoire des bataillons de mes grand-oncles durant la première guerre mondiale (en italien) :
    49e régiment d’infanterie, brigade “Parma” : http://www.cimeetrincee.it/parma.pdf
    7e régiment d’alpini, brigade “Feltre” : http://www.arsmilitaris.org/pubblicazioni/Battaglion%20Feltre.pdf

  • “généalogie”, un mot toujours tabou en Italie ?

    Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la généalogie italienne, j’ai lu à plusieurs reprises cette mise en garde : “si vous écrivez ou allez en Italie, ne dites pas que vos demandes d’actes concernent la généalogie, dites que vous travaillez sur votre histoire familiale. Les Italiens se méfient des généalogistes, qu’ils considèrent comme des voleurs d’héritage”.

    Cette réflexion est certainement issue d’une expérience vécue, mais je ne pense pas qu’on puisse continuer à répéter que les Italiens sont allergiques au mot “généalogie”.
    Je m’appuie pour cela sur plusieurs exemples récents :

    http://www.archiviando.org/forum/viewtopic.php?t=2423&p=5598#p5598

    http://www.archiviando.org/forum/viewtopic.php?t=2423&p=5598#p5598

  • Ancêtres Italiens : les documents militaires

    A l’occasion du centenaire du début de la première guerre mondiale, les initiatives de mise en ligne par les services d’archives français des registres matricules ou des livres d’or se multiplient. Si l’on y ajoute les informations disponibles sur Mémoire des Hommes (base de données des morts pour la France, journaux de marche et opérations), on peut mesurer la chance qu’ont bon nombre de généalogistes dont les ancêtres ont été mobilisés par la France, puisqu’ils peuvent retracer le parcours militaire de leurs proches sans quitter leur ordinateur.
    Ceux qui souhaitent en savoir autant sur leurs ancêtres Italiens ne sont malheureusement pas logés à la même enseigne, loin s’en faut  ! Même si les autorités italiennes ouvrent peu à peu leurs archives au monde numérique, l’éventail de ce qu’il est possible de trouver sur la toile en matière de données militaires reste très en deçà de ce qui est mis à disposition en France.

    Petite histoire de la conscription en Italie

    La conscription obligatoire a été instaurée sur le territoire italien par Napoléon Bonaparte en 1805, le service militaire durait alors 4 ans. De 1816 jusqu’à l’unité italienne, cette pratique a été globalement maintenue dans la plupart des états, mais avec des modalités variables. Dans le royaume de Lombardie-Vénétie, sous domination autrichienne, les Autrichiens ont par exemple allongé la durée du service militaire, qui pouvait durer jusqu’à 8 ans.
    Dès son unification en 1861, l’Italie a décrété la conscription des jeunes hommes âgés de 20 ans. Le premier recrutement date de 1862 et concerne les jeunes hommes nés en 1842. La durée du service militaire et le quota d’appelés ont varié au cours des époques. En 1876, le service a été réduit de 4 à 3 ans, mais le quota a été augmenté de 25 %. En 1910, la durée passe à 2 ans et le quota est majoré de 40 %. Après la seconde guerre mondiale, la durée est portée à 18 mois, puis à 12 mois en 1964, cette diminution de la durée étant toujours accompagnée d’une augmentation des quotas. Le service militaire obligatoire a été supprimé en Italie au 1er janvier 2005.

    Partenza dei coscritti
    “La partenza dei coscritti del 1866” (le départ des conscrits de 1866), par Girolamo Induno (http://www.arte.it/)

    C’est aux communes que revenait la charge de recenser les candidats au service militaire, soit les jeunes gens résidant sur le territoire communal et atteignant leur vingtième année. La liste obtenue était appelée Lista di leva ou Registro di leva.
    Elle était envoyée au mandamento, l’autorité militaire dont dépendait la commune. Un tirage au sort (estrazione) était ensuite réalisé, attribuant à chaque recensé un numéro d’ordre. Il en résultait la Lista di estrazione di Leva dans laquelle chaque conscrit était enregistré avec son numéro de tirage au sort. Chaque année, le ministère déterminait le nombre de conscrits devant être appelés sous les drapeaux, nombre proportionnel à la population de candidats recensée par chaque mandamento. Les conscrits étaient ensuite appelés à se présenter au conseil de révision selon le numéro que le tirage au sort leur avait attribué et le quota d’appelés défini pour l’année.
    A l’issue de la visita di leva (conseil de révision), le conscrit était déclaré abile (apte), riformato (réformé), rinviato (réformé temporairement) ou renitente (réfractaire) pour ceux qui n’avaient pas répondu à la convocation.

    Les registres militaires

    Différents documents d’archives sont donc relatifs à la période militaire en Italie :

    • La lista di leva comporte le nom et le prénom des jeunes gens candidats au service militaire, leur date de naissance, le nom de leurs parents, leur profession. Elle est spécifique à une commune donnée, celle où vit le conscrit au moment de son vingtième anniversaire.
    • La lista dei renitenti mentionne l’identité des jeunes gens qui ne se sont pas présentés au conseil de révision
    • La lista di estrazione di leva comporte le nom du conscrit et le numéro qui lui a été attribué par le tirage au sort.
    • Le ruolo matricolare (registre matricule) comporte, outre l’état civil du conscrit, des données sur son physique, ses signes particuliers. Ce document concerne tous les conscrits ayant passé le conseil de révision, qu’ils aient effectué leur service militaire ou non.
    • Le foglio matricolare (feuillet matricule) comporte l’historique de l’activité militaire des soldats et sous-officiers ayant effectué leur service militaire ou ayant été enrôlés au cours d’une guerre : régiments, avancements, décorations…
    • Le stato di servizio (état de service) concerne uniquement les officiers et décrit le déroulement de leur carrière
    • Le foglio di congedo illimitato (feuille de congé illimité) atteste que la personne est relevée de ses obligations militaires. Il comporte des renseignements identiques à ceux du ruolo matricolare.

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    Couverture de la “lista de leva” de 1870, commune de Borzonasca (FamilySearch)

    La lista di leva existe en deux exemplaires. Le premier est conservé dans les archives du district militaire concerné (Centro Documentalo dell’Esercito Italiano ou centre documentaire de l’armée italienne), la seconde est déposée auprès du procureur de la république durant 70 ans, puis reversée à la délégation des archives d’état de la province de rattachement de la commune.
    Le ruolo matricolare et le foglio matricolare des sous-officiers et des simples soldats sont eux aussi en principe reversés après 70 ans par les autorités militaires aux délégations des archives d’état de la province dont relève le district militaire. Les subdivisions civiles et militaires ne se superposant pas exactement, il se peut donc que le registre matricule d’un soldat soit consultable auprès des archives d’une province qui diffère de celle à laquelle est rattaché sa commune de naissance. En outre ce reversement n’est pas systématique. Dans certaines régions, des données de plus de 70 ans peuvent encore être en possession des centres documentaires de l’armée. Le foglio matricolare des officiers est pour sa part conservé par le Ministère de la Défense.

    Une fois qu’ils sont déposés auprès des archives d’état (Archivio di Stato), tous ces documents sont librement consultables par le public. Ces services d’archives peuvent également disposer de documents militaires relatifs à la période pré-unitaire. Mais dans ce cas le fonds documentaire est très variable d’une province à une autre, puisqu’il dépend de l’organisation du territoire et de son histoire antérieurement à la création de l’état italien. Dans tous les cas, une consultation de l’inventaire du fonds de ces archives permet de savoir ce qu’il sera possible d’y trouver.

    Les services des archives d’état ne doivent en théorie montrer aucune réticence à fournir une copie d’un foglio matricolare présent dans leur fonds, puisque ce document a plus de 70 ans. Pour autant, et malheureusement comme souvent en Italie, l’éventail des réponses apportées aux généalogistes va de la plus grande disponibilité et amabilité à l’absence totale de réponse.
    Il n’y a par contre rien à perdre à essayer. J’ai pour ma part fait deux demandes en ce sens par e-mail auprès des archives de Treviso et j’ai reçu par deux fois les documents demandés, rapidement et sans aucun frais, la personne qui avait pris en charge ma demande ayant même pris la peine, ne trouvant pas la fiche de mon grand-père, de rechercher parmi les homonymes.

    Dans un prochain article, je présenterai ce que j’ai pu reconstituer du parcours militaire de mes grands-oncles grâce à ces documents.

    Via leur site internet, les archives de certaines provinces italiennes permettent la consultation en ligne de certains documents, en particulier les Liste di leva.

    C’est par exemple le cas pour les provinces de :

    Parmi les autres ressources militaires :

    • Des microfilms ont également été réalisés par FamilySearch : Documenti Militari
    • Livre d’or (Libro d’oro) des soldats tombés durant la première guerre mondiale : http://www.cadutigrandeguerra.it/
    • Albo d’oro Italia (morts de la 1ère guerre mondiale, médailles militaires depuis la 1ère guerre d’indépendance…) : http://www.albodoroitalia.it/
    • Coordonnées des centres de documentation de l’armée (Centri Documentali dell’Esercito Italiano, ex Distretti militari)  :  http://www.esercito.difesa.it/organizzazione/I-Centri-Documentali
    • Coordonnées du Ministère de la Défense à Rome, pour les états de service des officiers et sous-officiers :
      MINISTERO DELLA DIFESA
      Direzione Generale per il Personale Militare
      V Reparto – 12 Divisione
      viale dell’Esercito, 186
      00143 ROMA