Maria et Ferruccio

De la Vénétie à la Californie

Mon père m’avait toujours dit qu’au début du 20è siècle, l’un de ses oncles et l’une de ses tantes avaient émigré de Borso del Grappa vers Santa Barbara, en Californie. Je n’en savais pas plus à leur sujet jusqu’à ce que je me mette en tête de construire l’arbre généalogique de ma branche paternelle. Je suis alors partie en quête d’informations et j’ai pu reconstituer un peu du parcours de mes «cousins d’Amérique».

Bonaventura Vedovotto (prénommé couramment «Ferruccio») et sa sœur Maria Vedovotto, épouse Golin, sont arrivés à Ellis Island, dans le port de New-York, le 13 juin 1908, en provenance du Havre. Ils débarquaient du navire « La Savoie », en compagnie de Domenico Vedovotto, leur père (mon arrière grand-père), et de Giovanni Antonio et Giovanna Maria Golin, les deux enfants de Maria. Tous allaient au Texas rejoindre Angelo Golin, le mari de Maria.

Maria voyageant avec ses jeunes enfants, on peut supposer que la famille avait l’intention de s’établir aux USA. Domenico n’en était pas à son premier séjour à Thurber. Il a déclaré s’y être déjà rendu en 1905 et 1907, mais son premier voyage vers les USA remonte à 1901, comme le confirme le relevé des arrivées enregistrées à Ellis Island. Sa destination était alors déjà Thurber.

Les informations enregistrées à leur sujet par l’officier américain chargé de l’immigration (United States Immigration Officer) sont les suivantes :

question Domenico Vedovotto Ferruccio Vedovotto Maria Golin Gio. Antonio Golin Maria Golin
âge 54 ans 15 ans 26 ans 2 ans 2 ans
est en possession d’un billet ? oui oui oui oui oui
qui a payé le voyage ? lui-même son père elle-même sa mère sa mère
dispose de 50 $ ?
sinon de combien ?
25 $ 30 $
est déjà venu aux USA ?
si oui quand et où ?
oui, 1905/1907
Thurber (Tx)
non
vient rejoindre quelqu’un aux USA ?
si oui nom et adresse
son beau-fils Angelo Golin
Box 41, Thurber (Tx)
son beau-frère Angelo Golin
Box 41, Thurber (Tx)
son mari Angelo Golin
Box 41, Thurber (Tx)
son père Angelo Golin
Box 41, Thurber (Tx)
son père Angelo Golin
Box 41, Thurber (Tx)
est polygame ? non non non
est anarchiste ? non non non
état de santé mentale
et physique
bon bon bon bon bon
taille 5 pieds, 7 pouces
(1,70 m)
5 pieds, 3 pouces
(1,60 m)
5 pieds, 3 pouces
(1,60 m)
constitution mince mince mince
couleur des cheveux auburn auburn auburn
couleur des yeux auburn auburn auburn
signe particulier aucun aucun aucun aucun aucun
lieu de naissance Borso, Italie Borso, Italie Borso, Italie Borso, Italie Borso, Italie

Angelo Gollin est pour sa part arrivé à New-York, le 11 décembre 1906, débarquant du navire « La Bretagne » venant du Havre. Curieusement, il déclare sur le manifeste de débarquement être célibataire et venir rejoindre à Thurber son “ami” Domenico Vedovotto. Pourtant, Maria et Angelo se sont mariés à Borso le 16 novembre 1904. D’ailleurs, Giovanna Maria leur première fille, était déjà née en décembre 1906. Erreurs de dates ou adaptation de la vérité ?
Cet enregistrement nous apprend également que Domenico Vedovotto était déjà à Thurber en 1906, comme il le déclarera en 1908. Angelo dit aussi qu’en ce mois de décembre 1906 il n’en est pas à sa première visite. Avaient-ils déjà voyagé ensemble auparavant ?

La fleur de l’amour éternel

Maria et Angelo à Santa Barbara, le jour de leurs noces d’or

La construction de cet arbre généalogique m’a permis de nouer le contact avec mes cousins américains. C’est ainsi que l’un d’entre-eux m’a rapporté une très jolie anecdote au sujet de Maria Vedovotto et de son mari Angelo Golin.

Au moment où Angelo a décidé de quitter Borso pour s’établir aux États-Unis, il était déjà l’époux de Maria. Ils avaient tous deux convenu que Maria viendrait le rejoindre plus tard, avec les enfants, mais elle était inquiète. Les rumeurs circulant dans le village disaient que les hommes qui partaient en laissant leur famille ne redonnaient plus jamais signe de vie et fondaient une autre famille outre-atlantique.

Pour la rassurer, Angelo est allé dans la montagne, sans doute au Monte Grappa, pour y cueillir une fleur d’edelweiss, qu’il a offerte à Maria. Cette fleur qui ne fane jamais, même coupée, était le symbole de son amour éternel pour elle. Il voulait ainsi lui montrer qu’elle devait avoir confiance et qu’il reviendrait la chercher.

Maria a gardé précieusement l’edelweiss et l’a emporté aux États-Unis quand elle a enfin pu y rejoindre son mari. Elle l’a conservé tout au long de sa vie et, avant de mourir, l’a transmis à la femme de l’un de ses petits-fils. Par ce geste, peut-être voulait-elle que le souvenir de cet amour entre elle et Angelo ne s’efface pas trop vite.

A ma façon, et grâce à cette chronique, j’ai donc entrepris de perpétuer encore un peu le souvenir de cette belle histoire.