vie quotidienne

W comme “W il formaggio!”

Petite pirouette pour la lettre W : elle n’existe pas en italien et je n’ai trouvé aucun aliment typique de la Vénétie dont elle serait l’initiale. Alors j’ai décidé de détourner à mon profit le symbole italien utilisé pour écrire “Viva!”, qui entremêle deux V et ressemble à un W.

Ce “Viva!” est aujourd’hui décerné aux fromages de Vénétie.

Les habitants de la Vénétie ont adopté depuis des siècles les techniques d’élaboration du formage répandues dans tout l’arc pré-alpin, autant sur le territoire de l’actuelle Italie que sur celui de la France, de la Suisse, de l’Autriche…

Ces méthodes de caséification auraient été introduites par les Rhètes, qui vivaient sur ce territoire avant la domination romaine. Par la suite avec l’arrivée de peuples saxons comme les Cimbres, qui se sont établis sur l’altiplano d’Asiago et les Dolomites, des techniques de fabrication de fromages fondées sur un double traite ont été adoptées : le lait de la traite du soir était écrémé, pour faire du beurre, celui de la traite du matin était gardé entier.

Les Alpages de Vénétie ont été occupés par des troupeaux à des fins de fabrication de fromage et de production de laine dès le Moyen-Age. Durant l’âge d’or de la Sérénissime, bergers et troupeaux passaient l’été en montagne et l’automne et l’hiver au sud, dans la zone de Venise. L’hivernage des troupeaux de bovins, ovins et caprins se déroulait donc dans la plaine, sur des terres incultes ou très peu productives : le long des fleuves, dans les aires marécageuses et inhabitables des côtes de l’Adriatique. Les zones les plus prisées étaient Gambarare di Mira, le Lido de Venise, Malamocco, Portogruaro, Càorle… Cette période prenait fin soit le 25 mars, date de l’Annonciation, soit le 23 avril pour la saint Georges. Les animaux et leurs gardiens avaient alors jusqu’au 31 mai pour regagner les prés de montagne, en empruntant les routes pour ne pas endommager les cultures. Ils séjournaient en alpage à partir du 1er juin, pour une durée de 100 jours.
Le 16 juillet, jour de la sainte Carmine, le lait produit par chaque troupeau était pesé afin de servir de base pour déterminer le prix de la location de l’alpage. La fête du 8 septembre sonnait le début de la descente des alpages, qui devait être terminée pour la saint Michel, soit le 29 septembre.

Les alpages du Monte Grappa, à Campocroce

Huit DOP et des dizaines d’autres fromages

De nos jours, la Vénétie est toujours une grande région productrice de fromages, huit d’entre eux bénéficiant de l’appellation DOP (Dénomination d’Origine Protégée) : Asiago, Casatella Trevigiana, Grana Padano, Montasio, Monte Veronese, Provolone Valpadana, Taleggio, Piave. La région produit également de très nombreuses autres variétés fromagères, essentiellement à base de lait de vache. Les plus connus sont ceux qui ont une fabrication saisonnière, liée au rythme des activités pastorales de montagne. Cet article va en présenter quelques-uns.

Finir un repas avec du fromage est quasiment une obligation en Vénétie, si l’on en croit ce dicton :

La boca non l’è straca se non la sa de vaca
Soit : la bouche n’est pas lassée tant qu’elle n’a pas eu de la vache

Asiago

Les textes évoquent la production de fromage sur l’altiplano des 7 communes, dans la province de Vicenza, dès le début du 2e millénaire de notre ère. Il était produit avec du lait de brebis. A partir du XVIe siècle, les vaches ont été introduites dans les alpages de la zone, et leur lait a été traité avec les techniques ancestrales de caséification, aboutissant à la production de l’Asiago, qui tire son nom de celui de l’une de ces 7 communes.
L’Asiago d’allevo (affiné) est un fromage à pâte dure consommé après plusieurs mois d’affinage. Il est dit mezzano après 4 à 6 mois, vecchio après plus de 10 mois et stravecchio après plus de 15 mois. Il possède alors une saveur un peu piquante et peut être râpé.
L’Asiago pressato est pour sa part vendu plus frais, avec une pâte semi-dure.

Morlacco

Morlacco del Grappa
(https://lorenzovinci.it)

Les origines du Morlacco remontent au XVe siècle, quand des peuples venus de Morlaquie, région de Croatie située le long du golfe de Venise, entre l’Istrie et la Dalmatie, se sont installés dans le massif du Monte Grappa pour y élever des vaches “burlina”, race autochtone de Vénétie arrivée à la fin de l’époque romaine des rivages de la mer du nord avec les Cimbres, et aujourd’hui menacée d’extinction. Ce fromage est aussi parfois appelé Burlach, en référence au nom de cette race bovine.
Il était à l’origine produit avec un lait le plus écrémé possible car la crème était extraite pour faire du beurre, produit qui constituait le seul revenu des éleveurs et qu’ils devaient donc produire en quantité. Le Morlacco était en quelque sorte un sous-produit du beurre, réservé à la consommation locale et parfois appelé de ce fait le formajo dei poareti (fromage des pauvres). Le Morlacco a failli disparaître suite au boom économique italien des années 1970, mais il a été redécouvert à temps et bénéficie aujourd’hui des labels Slow Food et PAT (produit alimentaire traditionnel) ce qui a permis de relancer sa production.
Aujourd’hui, le Morlacco del Grappa, produit de juin à septembre sur un territoire d’alpage situé à cheval sur les provinces de Treviso, Belluno et Vicenza, a acquis ses lettres de noblesse. Il est fait en alpages, avec le lait écrémé de la traite du soir auquel on ajoute du lait entier de la traite du matin.

Le formaggio ubriaco, né de la Grande Guerre ?

En italien ubriaco signifie ivre. Le “fromage ivre” est un fromage qui a été conservé dans du marc. L’une des hypothèse font remonter sa naissance à la première guerre mondiale, dans des villages de la province de Treviso situés sur la rive gauche du Piave, en zone occupée par les Autrichiens. Les paysans, pour que tous leurs vivres ne soient pas pillés par les soldats, auraient cachés des fromages dans des barriques de marc de raisin, ingrédient considéré comme un déchet et peu susceptible d’intéresser les militaires affamés. Curieusement, les qualités gustatives du fromage n’auraient pas été dégradées par ce traitement, qui est devenu un mode d’affinage reconnu pour divers fromages de Vénétie.
Aujourd’hui, la technique peut être appliquée à des fromages à pâte semi-cuite, comme l’Asiago ou le Montasio, âgés d’au minimum deux mois.

La recette

De nombreuses recettes associent le fromage aux autres ingrédients typiques des menus de Vénétie : riz, polenta, gnocchi… Il peut également être utilisé pour farcir des légumes ou leurs fleurs, comme celles des courges (zucche) ou des courgettes (zucchini) qui sont fréquemment utilisées en cuisine dans cette région.

Fiori di zucchini ripieni di Asiago (fleurs de courgettes farcies à l’Asiago)

Ingrédients
  • 50 g d’Asiago affiné
  • 50 g d’Asiago frais
  • 6 à 8 fleurs de courgettes
  • Un peu de farine, de fécule et de bière pour la pâte à frire
  • huile d’olive extravierge
  • sel
Préparation Laver les fleurs de courgettes et les sécher.
Émietter l’asiago frais et affiné.Préparer la pâté à frire en mélangeant farine, fécule et bière jusqu’à obtenir un mélange clair à la consistance de l’œuf battu.Remplir les fleurs avec le fromage et les plonger une à une quelques instants dans la pâte à frire.Faire frire les fleurs dans l’huile jusqu’à ce que leur consistance soit croquante.Une alternative consiste à remplacer les fleurs de courgettes par des feuilles d’épinards ou de blettes ébouillantées quelques instants pour former des paupiettes.(source : https://www.asiagocheese.it)
Fiori di zucchine ripieni

 

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